Les ouvriers chargés de la récolte se sont mis au travail avec une grande ponctualité, à sept heures et demie. « Le calendrier est déterminant », indique Fredy Röthlisberger, qui a enfilé des chaussures de randonnée et porte une barbe de trois jours. Il connaît son verger toscan dans les moindres recoins, aussi parfaitement qu’un citadin maîtrise son balcon. Il y a quinze jours, les cigales chantaient encore à tue-tête dans les oliviers quelques mètres plus haut. Et puis, d’un coup, le silence s’est abattu sur le domaine de Bellavista. À l’extérieur tout du moins. Fredy Röthlisberger lui-même est comme sur des charbons ardents pendant cette période de transition, entre la fin de la récolte des argousiers et le début du pressage des olives. Chaque jour, il arpente les rangées de grenadiers, observant les fruits, les tournant et les palpant. Sont-ils à maturité, risquent-ils d’éclater si la température descend trop la nuit ? Ou bien vaut-il mieux les laisser profiter encore de la force de quelques rayons de soleil supplémentaires avant de les cueillir ? Quand il est temps, il arrive que les ouvriers doivent interrompre toute autre activité. Cela se joue parfois à quelques heures, indique Fredy Röthlisberger. Il faut que la chair du fruit, qui enveloppe et protège les précieux pépins, soit d’un rouge aussi intense que possible : « Si elle est rose, c’est trop tôt ». Si les fruits ont éclaté, ils doivent être transformés immédiatement pour que leurs précieux nutriments soient préservés.
Fredy Röthlisberger et ses collaborateurs utilisent un pressoir hydraulique manuel : cette méthode est en effet la plus douce, mais elle requiert aussi beaucoup de temps. Trop même, si toute la récolte devait être pressée en une seule fois. Mais, dans les hangars situés derrière la villa aux murs jaunes, les ouvriers travaillent de l’automne à Noël, jusqu’à ce qu’il ne reste plus un seul fruit et que seul le jus subsiste.
Ce matin-là, Fredy Röthlisberger semble visiblement soulagé : comme les années précédentes, le moment a été parfaitement choisi. Il se penche régulièrement sur les corbeilles posées au sol, attrape un fruit et l’ouvre avec précaution avant d’opiner de la tête et de déclarer qu’il est à parfaite maturité.
Les ouvriers sont eux aussi satisfaits : rien n’est plus beau que de cueillir des grenades sur les arbres, estime Marcella Pagliara. Un seul mot revient régulièrement dans la bouche de cette petite femme athlétique coiffée d’un chapeau de paille, à la voix chaude et rocailleuse : « Bello », « beau » en italien. Une chose est sûre : elle ne parle pas seulement de la beauté des fruits, mais aussi de celle du geste de la récolte. Il est vrai que l’Italienne semble danser lorsqu’elle se meut à travers les arbustes ployant sous les fruits, dégainant ici et là ses cisailles et les refermant d’un geste sûr avant de déposer un nouveau globe rougeoyant dans sa corbeille.